Interview de Jacques BERTHELOT - 1er mars 2011
Les médias parlent beaucoup de la hausse récente du prix mondial du blé, pouvez-vous préciser ?
Effectivement, alors que le prix mondial du blé - prenons celui de la variété à teneur moyenne en protéines, le Short Red Winter, rendu FOB Golfe du Mexique - a été en moyenne de 130 dollars par tonne ($/t) de 2000 à 2006, il a bondi à 235 $/t en 2007 puis à 269 $/t en 2008 avant de retomber à 186 $/t en 2009 puis de remonter à 228 $/t en 2010 et à 342 $/t la troisième semaine de février 2011. Naturellement l'impact sur les prix à l'importation au Sénégal doit tenir compte de l'appréciation de 59 % du taux de change de l'euro (donc du franc CFA) par rapport au dollar de 2000 à 2008 avant de baisser de 10 % de 2008 à 2010, mais la forte hausse du prix FOB à Dakar en FCFA est indéniable, d'autant que le prix du fret maritime a lui-même flambé depuis 2007, avec la hausse du prix du pétrole.
Le prix du blé est-il appelé à rester durablement élevé ?
On peut effectivement se poser la question puisque l'on a connu dans le passé une tendance de longue durée à la baisse du prix en valeur réelle (en pouvoir d'achat), c'est-à-dire compte tenu de l'inflation. Ainsi, malgré les prix très élevés du blé en 2008, il a néanmoins baissé en moyenne de 1,5 % par an en valeur réelle de 1950 à 2008 aux Etats-Unis (EU), bien qu'ayant augmenté de 7 % par an de 2000 à 2008.
Malheureusement, cette baisse à long terme du prix du blé est révolue pour plusieurs raisons : plafonnement des rendements et des superficies dans les pays développés ; hausse de la population mondiale et de la consommation de produits animaux dans les pays émergents puisque le blé est aussi un aliment du bétail à coté du maïs, de l'orge et du soja. Mais les deux principales raisons, minimisées par la plupart des experts, sont liées aux interrelations entre les prix des différentes céréales et du soja et la folle politique des pays développés, tout particulièrement des EU, de consacrer une part croissante de leur production céréalière à l'éthanol.
Car on a l'effet de dominos suivant dans la flambée des prix : la hausse actuelle et prévisible du prix du pétrole entraîne et entraînera celle de l'éthanol, qui nécessite plus de maïs aux EU et en augmente donc le prix, ce qui réduit d'autant les surfaces disponibles pour produire du soja et du blé, dont les prix flambent en conséquence. D'autant que les EU sont "faiseurs des prix mondiaux" pour les céréales et les oléagineux. Ainsi la production de maïs des EU destinée à l'éthanol est passée de 41 millions de tonnes (Mt) en 2005-06 (14,4 % de la production) à 126 Mt attendues en 2010-11 (40 %). A un moindre degré, l'UE consacre aussi, en 2011, 11 Mt de céréales à l'éthanol et 17 Mt d'oléagineux au biodiesel.
Or ces hausses des céréales consacrées à l'éthanol ont pesé beaucoup dans la baisse des stocks publics de céréales des EU et de l'UE par volonté de réduire les interventions publiques sur les marchés agricoles et de baisser les dépenses budgétaires agricoles. Puisqu'il existe une corrélation inverse – en dehors des périodes de forte spéculation – entre le niveau des stocks internationaux et le niveau des prix des matières premières, notamment des céréales, il faut souligner la responsabilité écrasante des EU et de l'UE dans la flambée actuelle des prix céréaliers. Ils sont responsables des ¾ de la baisse prévue des stocks finaux de céréales de 2009/2010 à 2010/2011 : de 46,5 Mt sur un total mondial de 62,2 Mt, 50 % de la baisse étant imputable aux EU et 24,5 % à l'UE. Et ils sont responsables de 96,7 % de la baisse des stocks de céréales secondaires – dont 27,4 Mt pour les EU et 13 Mt pour l'UE – qui représente 67,1 % de la baisse des stocks céréaliers mondiaux, sachant que 96 % de la baisse du stock de céréales secondaires des EU est imputable au maïs, du fait de la hausse constante de la production destinée à l'éthanol. Les spéculateurs purement financiers connaissant l'effet de dominos des prix indiqués ci-dessus, ils ont évidemment amplifié la hausse des prix céréaliers.
La hausse du prix mondial du blé ne se répercute-t-elle pas sur les prix des céréales locales en Afrique de l'Ouest ?
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