Article publié dans le Courrier International n° 1059 du 17 février 2011 (consultable ici)
Publié dans le journal Sud Quotidien par Cheikh Guèye
Publié dans le journal Sud Quotidien par Cheikh Guèye
Comment combattre la faim quand la dégradation des sols et la razzia des investisseurs étrangers réduisent sans cesse les productions vivrières ? Tentative de réponse.
Alors que le monde n’a jamais été aussi riche et aussi avancé, la faim atteint des niveaux inégalés : 925 millions de personnes souffrent désormais de faim chronique, 24 000 meurent de faim chaque jour, dont 10 000 enfants (selon la FAO, 2010). Dans ce “village planétaire” où les droits de l’homme sont convoqués si facilement pour donner des leçons d’humanisme et de conscience, comment peut-on accepter un paradoxe si choquant et si hypocrite ? Faire de la réduction de la faim un des Objectifs du millénaire pour le développement (fixé par l’ONU pour 2015) ne suffit pas. Les crises alimentaires successives et les flambées conjoncturelles des prix des céréales fondamentales comme le riz et le blé donnent un visage encore plus dramatique à un phénomène tout aussi structurel qu’inacceptable.
Les causes de la faim
L’Afrique est depuis le siècle dernier le continent le plus dépendant du point de vue de l’alimentation : 30 % de la population y souffre de la faim. La faim chronique et la malnutrition y ont des conséquences graves depuis des générations sur la santé mentale et physique de millions d’Africains, ainsi que sur les performances de tout ordre. Les causes de la faim et de la malnutrition en Afrique sont connues. Il s’agit d’abord des déficits alimentaires conjoncturels et parfois cycliques liés aux variabilités du marché mondial de certaines céréales d’importation auxquelles les pays sont surexposés et à l’irrégularité des saisons pluviales dont dépendent les productions dans beaucoup de régions africaines.
Même si l’Afrique ne présente pas les densités démographiques extrêmes des deltas fluviaux asiatiques, ses taux de croissance de 2,5 % à 3 % par an font craindre les conséquences d’un gonflement important de la population, qui a atteint le milliard alors qu’elle ne s’élevait qu’à 750 millions au début des années 2000. Avec une densité moyenne de 32 habitants au kilomètre carré, l’Afrique dépasse l’Amérique latine, et les projections démographiques pour les trente prochaines années (1 450 millions d’habitants dans trente ans), corrélées à la dégradation de près de 72 % des terres cultivables de l’Afrique subsaharienne et de 31 % de ses pâturages, limitent gravement le potentiel de production et de souveraineté alimentaire.
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S’y ajoutent les changements climatiques dont les impacts liés à plusieurs paramètres vont toucher les capacités de production locale. La pêche, qui est un des secteurs contribuant à la sécurité alimentaire et à la fourniture en protéines animales en Afrique, est aujourd’hui l’objet de tous les pillages par les flottes étrangères et par les pratiques de pêche non réglementées. Alors que la partie des sols qui contient des nutriments est relativement limitée pour les besoins de l’agriculture, le continent enregistre la plus faible utilisation d’intrants agricoles, notamment de fertilisants : on utilise 7 kg de fertilisants à l’hectare alors que l’Asie en est à 70 kg/ha. Ces difficiles conditions de production ont – entre autres facteurs – généré une déstructuration des sociétés paysannes, de plus en plus confrontées à l’exode de leurs forces vives et à une déperdition des mémoires technologique et culturelle.
L’Afrique subit également les conséquences d’une demande mondiale insatiable en terres cultivables. Les terroirs agricoles africains les plus originaux sont envahis ou menacés par des multinationales et entrepreneurs asiatiques, américains et européens prêts à transformer les paysans en ouvriers agricoles taillables et corvéables à merci. Depuis quelques années, une razzia mondiale des terres cultivables est organisée avec d’énormes superficies qui sont achetées ou négociées avec les Etats ou les communautés locales pour développer de nouvelles cultures d’exportation au détriment des productions locales. La renaissance et le développement de l’agriculture africaine sont les principales conditions de la souveraineté alimentaire pour l’Afrique.
Un affranchisement nécessaire
Si l’Afrique est le continent le plus dépendant en matière d’alimentation, son vrai problème, c’est la souveraineté tout court. Cinquante ans après la vague des indépendances, le continent a du mal à assumer sa souveraineté politique. La démocratie y est encore une construction superficielle et aléatoire, tandis que les pays du Nord profitent de la faiblesse de la légitimité sociale des Etats et de leur pauvreté intellectuelle et financière pour leur imposer leur agenda et leurs priorités. En plus des sols convoités, les ressources naturelles de tous types attirent les grandes puissances et les multinationales, qui s’invitent dans les conflits internes au continent pour mieux contrôler les espaces et les moyens de leur production.
Pour réduire sa dépendance économique et gagner le pari de la souveraineté alimentaire, l’Afrique est condamnée à développer une industrie performante tournée vers ses propres besoins et s’appuyant sur la transformation des produits locaux. Mais la révolution agricole paysanne demeure la condition indispensable à la souveraineté alimentaire Elle doit promouvoir une agriculture familiale modernisée s’appuyant sur des techniques protégeant le sol, l’eau et le climat.
Pain
“Une autre baguette est possible”, affirme le quotidien sénégalais Wal Fadjri. Dans la perspective d’une indépendance alimentaire, les boulangers du Sénégal sont encouragés à introduire dans leur pain des céréales produites localement. Cette pratique a le triple avantage de réduire les importations, de contourner la hausse des prix du blé et de valoriser la production du monde paysan.
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