A l'heure où les prix agricoles s'envolent sur les marchés boursiers, SOLIDARITÉ réaffirme son engagement envers la souveraineté alimentaire, en promouvant les ressources locales.
C'est le message que SOLIDARITÉ a porté durant le FSM de Dakar au mois de février 2011, en s'appuyant sur la création d'un espace d'artisanat alimentaire.
C’est la richesse et les suites de cette expérience que nous voulons partager avec vous sur ce blog, en attendant la mise en œuvre de projets de long terme en partenariat avec les organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest...
... chargement d'un diaporama en cours ...

5 janvier 2011

"Rares sont les agriculteurs qui cultivent le blé" - Le Monde Diplomatique

Article publié en Mai 2008 sur le Monde Diplomatique (consultable ici)
Par Anne-Cécile Robert


« Nous sommes fatigués. Nous avons faim. Tout est devenu cher. Je demande à toutes les femmes de renverser leurs marmites et de faire, tous les soirs, des concerts de marmites », exhorte une mère de famille sénégalaise. Ce 31 mars 2008, elle participe à une marche contre la cherté des denrées de première nécessité. « Pas plus tard qu’hier, s’exclame M. Momar Ndao, président de l’Association des consommateurs sénégalais, à l’initiative du mouvement, le prix du sac de riz [de 50 kilos] est passé de 14 000 à 17 000 francs CFA [21,3 à 26 euros]. Cela montre que les autorités ne veulent rien faire. »
Interdite par le préfet de Dakar, la manifestation a été durement réprimée par la police, à qui il a fallu plusieurs heures pour disperser les marcheurs. Déjà, en 2007, la hausse du prix du pain avait provoqué des tensions sociales. La Fédération des boulangers s’était mise en grève à l’automne, provoquant une pénurie. Elle demandait le soutien des autorités face à l’augmentation du coût du sac de farine, alors que le prix mondial du blé s’envolait de 49 %.
Les « émeutes de la faim » sont devenues récurrentes en Afrique et occupent l’actualité de nombreux pays : Sénégal, Mali, Cameroun, Burkina Faso, Nigeria, Côte d’Ivoire... A l’augmentation du prix du blé s’ajoute l’explosion des coûts du fret liée à la hausse du pétrole. En outre, la sécheresse puis les inondations de l’année 2007 ont diminué les productions locales et fragilisé le monde rural. Début 2008, la tonne de blé est passée de 
120 à 130 euros.
...

Face à la colère des populations, les Etats tentent de contenir les prix. Ainsi, le 1er avril, les autorités ivoiriennes ont annoncé la suspension, pour trois mois, des taxes à l’importation pour le riz, l’huile de table, le lait, la farine, le blé ou encore le sucre. Le président Laurent Gbagbo a aussi décidé une réduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur ces mêmes produits, de 18 % à 9 %. Mais ces mesures grèvent les budgets de l’Etat, déjà limités. Plus hardi, le gouvernement sénégalais a brièvement bloqué le prix du pain en octobre 2007. Mais une telle décision est contraire à la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande.
En visite en Afrique de l’Ouest en février 2008, le directeur du Fonds monétaire international (FMI), M. Dominique Strauss-Kahn, a mis en garde : « Le blocage des prix ne fonctionne jamais bien et ne peut être utilisé que de manière très temporaire. Cela favorise le marché noir et entraîne de “faux choix” économiques. C’est la même chose pour les subventions (2).  » Il préconise, sans plus de précisions, des « réformes de long terme » destinées à « satisfaire les besoins » des populations.
Au Caire, où les files d’attente se prolongent devant les boulangeries, l’opposition politique — plus ou moins bien intentionnée — s’engouffre dans la brèche. Ainsi, un député, membre des Frères musulmans, M. Hamdi Hassan, accuse : « La décision du gouvernement, il y a deux ans, de ne plus acheter aux agriculteurs égyptiens sous prétexte que l’importation est bien moins chère est à la base de la crise. Ainsi la production locale de blé a-t-elle beaucoup diminué. Rares sont les agriculteurs qui cultivent le blé. Ils préfèrent cultiver les fruits pour les exporter. »
Afin de répondre à la demande sociale sans mécontenter les bailleurs de fonds, certains gouvernements ont recours à des expédients. Au Mali, par exemple, on expérimente le pain burunafama — farine de blé mélangée avec des céréales locales comme le sorgho, le mil et le maïs. Il s’agit, à la fois, de réduire la part de blé et de mettre à profit les céréales produites sur place. Selon le président du cadre de concertation des acteurs de la filière pain, M. Mamadou Lamine Haïdara, ce pain reviendra à 250 francs CFA (0,38 euro) la miche (contre 300 francs CFA, 0,45 euro). Mais la qualité est-elle au rendez-vous ? Adama, membre d’une association de défense de consommateurs, se montre réticent : « Le pain mixé ne donne même pas envie de le manger, il est vilain à voir, lourd, il a un mauvais goût  (3)  ! »
En Egypte, le gouvernement subventionne le pain et en fait distribuer par l’armée. Mais, parfois, les quantités disponibles ne sont pas suffisantes et les habitants se retrouvent démunis, malgré leurs tickets de rationnement, devant les boutiques fermées (4).
Toutefois, la crise qui frappe l’Afrique pourrait avoir un « avantage collatéral » : remettre l’agriculture locale et la sécurité alimentaire au cœur des politiques économiques. Depuis vingt-cinq ans, le libre-échange sert de politique de développement à des puissances publiques désarmées. Ce que le sociologue ivoirien Théophile Kouamouo résume par : « La première chose à faire, c’est de doter nos Etats de gouvernements  (5)  ! »
Le continent noir n’est pas seul concerné par la hausse des cours mondiaux des céréales. En Haïti, depuis début avril, les manifestations et pillages des « émeutiers de la faim » — cinq morts et deux cents blessés — menacent la précaire stabilité du pays et ont provoqué la destitution du premier ministre Jacques-Edouard Alexis. Base de l’alimentation des plus pauvres, le sac de riz de 50 kilos est passé en une semaine de 35 à 70 dollars. Les violences se déroulent au cri de « Nou grangou ! » (en créole, « Nous avons faim ! »).
Plusieurs pays asiatiques, en particulier l’Indonésie et les Philippines, redoutent également des troubles sociaux en raison de l’augmentation des prix du soja, de la viande, et, là aussi, surtout du riz. Des manifestations rassemblant plus de dix mille personnes ont eu lieu à Djakarta au début de l’année 2008 à cause de la hausse du prix du tofu.
Mais le cœur du problème reste le riz : le prix de la variété « thaïe », qui sert de référence, a dépassé 500 dollars (320 euros) la tonne pour la première fois depuis 1989, selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) (6). L’offre globale de riz (420 millions de tonnes) se trouve en dessous de la demande (au moins 430), et certains pays, telles les Philippines, premier importateur mondial, se trouvent dans des situations très difficiles. Les stocks mondiaux sont au plus bas depuis vingt-cinq ans (70 millions de tonnes, moitié moins qu’en 2000). Or certains pays producteurs, tels le Vietnam, l’Inde et l’Egypte, diminuent leurs exportations pour assurer l’approvisionnement de leur marché local et contenir les prix...
« Trente-trois pays sont en proie à des troubles sociaux du fait de la forte hausse des prix alimentaires et du pétrole », reconnaît M. Robert Zoellick, président du groupe Banque mondiale, qui annonce une augmentation des crédits annuels pour la production agricole en Afrique (de 288 millions à 512 millions d’euros). Cependant, le « new deal pour la politique alimentaire mondiale » qu’il propose se résume à la conclusion d’un nouvel accord commercial dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Perseverare diabolicum...


 ___________________________
(1) Wal Fadjri, Dakar, 1er avril 2008.
(2) Jeune Afrique, Paris, 16 mars 2008.
(4) Lire Héba Nasredine, Gilane Magdi et Salma Hussein, « La bataille du pain », 25 mars 2008.
(6) Lire Javier Blas et Daniel Ten Kate, « Jump in rice price fuels fears of unrest », Financial Times, Londres, 27 mars 2008.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire