A l'heure où les prix agricoles s'envolent sur les marchés boursiers, SOLIDARITÉ réaffirme son engagement envers la souveraineté alimentaire, en promouvant les ressources locales.
C'est le message que SOLIDARITÉ a porté durant le FSM de Dakar au mois de février 2011, en s'appuyant sur la création d'un espace d'artisanat alimentaire.
C’est la richesse et les suites de cette expérience que nous voulons partager avec vous sur ce blog, en attendant la mise en œuvre de projets de long terme en partenariat avec les organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest...
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3 mars 2011

La hausse des prix du blé, une chance pour intégrer des céréales tropicales dans le pain en Afrique subsaharienne

Interview de Jacques BERTHELOT - 1er mars 2011 

Les médias parlent beaucoup de la hausse récente du prix mondial du blé, pouvez-vous préciser ? 

Effectivement, alors que le prix mondial du blé - prenons celui de la variété à teneur moyenne en protéines, le Short Red Winter, rendu FOB Golfe du Mexique - a été en moyenne de 130 dollars par tonne ($/t) de 2000 à 2006, il a bondi à 235 $/t en 2007 puis à 269 $/t en 2008 avant de retomber à 186 $/t en 2009 puis de remonter à 228 $/t en 2010 et à 342 $/t la troisième semaine de février 2011. Naturellement l'impact sur les prix à l'importation au Sénégal doit tenir compte de l'appréciation de 59 % du taux de change de l'euro (donc du franc CFA) par rapport au dollar de 2000 à 2008 avant de baisser de 10 % de 2008 à 2010, mais la forte hausse du prix FOB à Dakar en FCFA est indéniable, d'autant que le prix du fret maritime a lui-même flambé depuis 2007, avec la hausse du prix du pétrole.

Le prix du blé est-il appelé à rester durablement élevé ? 

On peut effectivement se poser la question puisque l'on a connu dans le passé une tendance de longue durée à la baisse du prix en valeur réelle (en pouvoir d'achat), c'est-à-dire compte tenu de l'inflation. Ainsi, malgré les prix très élevés du blé en 2008, il a néanmoins baissé en moyenne de 1,5 % par an en valeur réelle de 1950 à 2008 aux Etats-Unis (EU), bien qu'ayant augmenté de 7 % par an de 2000 à 2008.

Malheureusement, cette baisse à long terme du prix du blé est révolue pour plusieurs raisons : plafonnement des rendements et des superficies dans les pays développés ; hausse de la population mondiale et de la consommation de produits animaux dans les pays émergents puisque le blé est aussi un aliment du bétail à coté du maïs, de l'orge et du soja. Mais les deux principales raisons, minimisées par la plupart des experts, sont liées aux interrelations entre les prix des différentes céréales et du soja et la folle politique des pays développés, tout particulièrement des EU, de consacrer une part croissante de leur production céréalière à l'éthanol.

Car on a l'effet de dominos suivant dans la flambée des prix : la hausse actuelle et prévisible du prix du pétrole entraîne et entraînera celle de l'éthanol, qui nécessite plus de maïs aux EU et en augmente donc le prix, ce qui réduit d'autant les surfaces disponibles pour produire du soja et du blé, dont les prix flambent en conséquence. D'autant que les EU sont "faiseurs des prix mondiaux" pour les céréales et les oléagineux. Ainsi la production de maïs des EU destinée à l'éthanol est passée de 41 millions de tonnes (Mt) en 2005-06 (14,4 % de la production) à 126 Mt attendues en 2010-11 (40 %). A un moindre degré, l'UE consacre aussi, en 2011, 11 Mt de céréales à l'éthanol et 17 Mt d'oléagineux au biodiesel.

Or ces hausses des céréales consacrées à l'éthanol ont pesé beaucoup dans la baisse des stocks publics de céréales des EU et de l'UE par volonté de réduire les interventions publiques sur les marchés agricoles et de baisser les dépenses budgétaires agricoles. Puisqu'il existe une corrélation inverse – en dehors des périodes de forte spéculation – entre le niveau des stocks internationaux et le niveau des prix des matières premières, notamment des céréales, il faut souligner la responsabilité écrasante des EU et de l'UE dans la flambée actuelle des prix céréaliers. Ils sont responsables des ¾ de la baisse prévue des stocks finaux de céréales de 2009/2010 à 2010/2011 : de 46,5 Mt sur un total mondial de 62,2 Mt, 50 % de la baisse étant imputable aux EU et 24,5 % à l'UE. Et ils sont responsables de 96,7 % de la baisse des stocks de céréales secondaires – dont 27,4 Mt pour les EU et 13 Mt pour l'UE – qui représente 67,1 % de la baisse des stocks céréaliers mondiaux, sachant que 96 % de la  baisse du stock de céréales secondaires des EU est imputable au maïs, du fait de la hausse constante de la production destinée à l'éthanol. Les spéculateurs purement financiers connaissant l'effet de dominos des prix indiqués ci-dessus, ils ont évidemment amplifié la hausse des prix céréaliers.

La hausse du prix mondial du blé ne se répercute-t-elle pas sur les prix des céréales locales en Afrique de l'Ouest ?
...

Non, fort heureusement, on n'a pas constaté, durant la flambée des prix du blé en 2007/2008, une forte hausse des prix du mil et du maïs dans les pays sahéliens, ce qui se comprend surtout pour le mil qui ne fait pas l'objet d'échanges internationaux. De même, malgré la nouvelle flambée des prix du blé depuis le second semestre 2010, les rapports mensuels d'Afrique Verte font état d'excellentes récoltes en 2010 du Mali au Niger et de prix modérés début février 2011, que ce soit au Niger où "En dépit de la tendance haussière des prix des céréales constatée au cours du mois, surtout pour le riz qui est la principale céréale  impore,  la  situation  alimentaire  est  satisfaisante : bon  niveau  dapprovisionnement des marchés suite  à  un  ralentissement de  la  vente  des  produits de  rente" ; au Mali où "La situation alimentaire demeure bonndans  lensemble en  cette  période de  récoltes et  de  battage.  Les disponibilités sont partout abondantes en céréales dorigine locale et dautres produits alimentaires suffisants pour satisfaire les besoins des populations. Partout les reconstitutions de stocks (familiaux, communautaires, privés et institutionnels) sont en cours" ou au Burkina Faso où "La situation alimentaire est stable, voire bonne dans les ménages suite à une bonne disponibilité des céréales sur les marchés. Les prix des céréales restent accessibles pour linstant malgré la hausse constae". 

Même si les prix au Sénégal sont sensiblement supérieurs à ceux des autres pays sahéliens, la farine de mil de 1er choix est vendue actuellement à 350 FCFA le kg par les moulins SITRAC - et ce sera  sans doute le prix maximum de la farine de maïs qu'ils vont bientôt mettre sur le marché - contre 412 FCFA pour le kg de farine de blé. On peut toutefois penser que la farine de mil et de maïs coûte nettement moins cher au Mali ou au Burkina Faso et qu'elle devrait baisser nettement au Sénégal même si la demande émanant des boulangers augmente beaucoup, car cela suscitera de nouvelles minoteries et cette concurrence fera baisser les prix.

Que pensez-vous de la proposition de la Fédération des boulangers du Sénégal (FNBS) de réduire les taxes, droits de douane et TVA, frappant les importations de blé et de farine ? 

Le Tarif extérieur commun de l'UEMOA impose un droit de douane de 5 % sur l'importation de blé et de 20 % sur celle de farine tandis que la TVA applicable à ces deux produits est de 18 %. Une Taxe conjoncturelle à l'importation (TCI) de 10 %, mécanisme communautaire d'application nationale, destinée à compenser des pratiques de subvention par des pays étrangers ou à amortir les effets des variations erratiques des prix internationaux sur la production communautaire, est prélevée sur le riz mais pas sur les autres céréales. Toutefois, suite à la flambée des prix du blé et de la farine en 2007, le Sénégal a suspendu le droit de douane sur le blé et la farine de juillet 2007 à septembre 2008 (perte de 1,5 milliard de FCFA) et a aussi subventionné la farine en 2008 (montant et durée inconnus) de même qu'il a subventionné le riz (et supprimé la TCI).

La FNBS plaide pour une réduction de la TVA arguant que, en France, le taux réduit de 5,5 % s'applique aux produits de première nécessité, dont les céréales, contre 19,6 % pour le taux normal. Sans doute, mais le droit de douane sur le blé de qualité moyenne est de 93 €/t dans l'UE contre 5 % seulement dans l'UEMOA et celui sur la farine de blé est de 173 €/t dans l'UE contre 20 % dans l'UEMOA. On peut comprendre le souci des boulangers sénégalais - et d'Afrique de l'Ouest en général - de rester compétitifs alors même que le prix du blé, et donc de la farine de blé, ne cessent d'augmenter et il est vrai que de nombreux boulangers ont été acculés à la faillite, d'autant que le gouvernement et les associations de consommateurs font pression pour ne pas augmenter le prix du pain. Celui-ci est théoriquement libre mais est en fait étroitement encadré par des discussions avec le gouvernement, comme cela a été le cas le 27 octobre 2010, après les deux jours de grève des boulangers, où le gouvernement a accepté que le prix de la baguette de 210 g soit relevé de 150 à 175 FCFA puisque le prix de la farine de blé était passé de 280 FCFA/kg à 412 FCFA en quelques mois.

Les céréales locales sont-elles à l'abri d'une insuffisante protection à l'importation ? 

Si l'on veut promouvoir les céréales locales, et notamment leur utilisation dans le pain et les tortillas, il faut leur donner un avantage fiscal sur le blé et la farine de blé et, plutôt que de réduire le droit de douane et la TVA sur ceux-ci, il est indispensable d'augmenter le droit de douane sur les céréales locales (maïs, mil et sorgho) et de supprimer la TVA qui les frappent ainsi que leurs farines ou au moins de les assujettir à une TVA à un taux très faible.

On constate en effet que le Sénégal est un gros importateur de maïs et que les importations ont même augmenté depuis 2007 malgré la flambée du prix. Le volume a augmenté de 85 % de 2000/2002 à 2007/2009 tandis que la facture était multipliée par 4,1 et le prix par 2,2. La forte hausse de la production de 2003 à 2005 a fortement réduit le pourcentage des importations par rapport à la production mais il a de nouveau augmenté de 2007 à 2009. Le niveau élevé de la production de 2003 à 2005 ainsi qu'en 2008 laisse penser que le Sénégal pourrait devenir autosuffisant s'il ne subissait pas la concurrence des importations à prix de dumping.



Production et importations de maïs du Sénégal de 2000 à 2009


2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
Production en tonnes

78593
108546
80372
400907
400555
399958
181585
158266
397326
328644
Importations en tonnes et 1000 dollars
tonnes
18044
53470
101458
77304
64340
100001
97988
97272
105184
117121
1000 dollars
2236
6956
12886
13407
13190
16844
16547
24446
37554
28549
Prix CAF
123,9
130,1
127
173,4
205
168
168,9
251,3
357
243,8
Importations en pourcentage de la production

23%
49,3%
126,2%
19,3%
16,1%
25%
54%
61,5%
26,5%
35,6%
Source : FAOSTAT et UN Comtrade, nomenclature SH 1996

Importations de maïs au Sénégal de 2000 à 2010


Moyenne 2000-02
Moyenne 2003-06
Moyenne 2007-09
Production en tonnes

89170
345751
294745
Importations en tonnes et 1000 dollars
tonnes
57657
84908
106526
1000 dollars
7359
14997
30183
Prix CAF
127,6
176,6
283,3
Importations en pourcentage de la production

64,7%
24,6%
36,1%
Source : UN Comtrade, nomenclature SH 1996

Or ces importations viennent essentiellement du reste du monde car les échanges avec le Mali sont insignifiants. Ce n'est qu'en 2004 et 2006 qu'elles ont dépassé 1 000 tonnes (2 558 et 2 239 tonnes) et, bizarrement, c'est le Mali qui a importé 5 870 tonnes du Sénégal en 2005 et encore 1 343 tonnes en 2008, s'agissant sûrement de réexportations.

Naturellement ces importations de maïs du Sénégal sont principalement destinées aux aliments du bétail, essentiellement des volailles, et leurs éleveurs argumentent que c'est parce que le droit de douane sur le maïs est limité à 5 % qu'ils peuvent rester compétitifs face aux importations de volaille fortement subventionnées par les exportateurs de l'UE et des EU. Sans doute mais le maïs est aussi la céréale la plus subventionnée des EU et les exportations d'Argentine et du Brésil bénéficient elles-mêmes d'énormes économies d'échelle.

On peut aussi rappeler que Jacques Faure, du CIRAD de Montpellier, avait mis au point à la fin des années 1980 un procédé de fabrication des pâtes à base essentiellement de maïs et que l'industriel sénégalais approché lui avait répondu : "C'est très intéressant mais vous pensez bien que, si je dois les fabriquer, je le ferai à partir de maïs importé, bien moins cher que le maïs sénégalais".

Un arbitrage complexe est donc à trouver entre les intérêts des aviculteurs et des producteurs sénégalais de maïs, mais aussi entre ceux des boulangers et des consommateurs voulant promouvoir l'utilisation du maïs dans le pain et les tortillas et qui s'accommoderaient de le faire à partir de maïs importé et ceux qui y voient au contraire un objectif de promotion de la production nationale ou sous-régionale de maïs et de souveraineté alimentaire. Ce qui rejoint les intérêts plus larges de promouvoir les emplois agricoles et de réduire le déficit des échanges alimentaires.

Au moins le Sénégal n'importe-t-il pas de mil et de sorgho, ce qui permet d'augmenter fortement la production destinée aux pains et aux tortillas.


1 commentaire:

  1. Les incendies en russie en 2010 ont bon dos ,pour expliquer l'augmentation du prix du blé. Les cerealiers français n'ont jamais autant produit qu'en 2010.Mais où se cache cette production? parcourez les campagnes et vous y verrez des silos tout neufs ,des hangars,qui gardent à l'abri les precieuses graines qui ne sortent qu'au compte gouttes,et bien entendu,au moment le plus opportun,quand les cours sont au plus haut.Les affameurs sont parmi nous,ils n'ont plus besoin des cooperatives qui jusque là les avaient bien aidés

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